Recherche sur la dynamique des avalanches ¶
La Vallée de la Sionne (Commune d'Arbaz, Valais)
Sur le site de recherche sur les avalanches de la Vallée de la Sionne (VdlS), situé dans le vallon d’Arbaz au-dessus de Sion, les scientifiques et ingénieurs mesurent des données indispensables à la compréhension du processus d’écoulement à l’intérieur d’une avalanche.
Ce site est unique dans les Alpes. Il est opérationnel depuis l’hiver 1997/98 et constitue un jalon très important pour la recherche sur la dynamique des avalanches au SLF. Après avoir été partiellement détruit lors de l’hiver extrême de 1999, il a été reconstruit et équipé de robustes capteurs pouvant mesurer, entre autres, les pressions et les vitesses des avalanches. Les valeurs mesurées le long du parcours de celles-ci sont combinées à des méthodes modernes de télédétection dans le but de se faire l’image la plus réelle possible du flux de neige. Il est extrêmement important de pouvoir répondre à certaines questions concernant, entre autres, la dissipation de l’énergie et l’érosion du manteau neigeux lors de l’écoulement. Les résultats des essais de la VdlS ont permis de développer des modèles dynamiques d’avalanches et d’améliorer les programmes de simulation numérique (en particulier RAMMS) ainsi que de valider les prescriptions suisses pour l’établissement des cartes de danger
Un site unique de recherche
Le site de recherche de la VdlS se situe dans la commune d'Arbaz à 8 km au nord de Sion, capitale du Canton du Valais. Il fut choisi en fonction de la grande activité avalancheuse constatée dans la région ces dernières années et des conditions nécessaires d’observation et de sécurité liées à ce genre d’essai. Des avalanches spontanées de neige humide ont lieu au début et à la fin de l’hiver alors que des avalanches spectaculaires de poudreuse se déclenchent plus tôt au cœur de celui-ci durant les mois de janvier et février. Les zones de déclenchement se situent entre 2500 et 2700 m.s.m. dans les régions de Pra Roua et Crêta Besse 1 et 2. Les volumes de neige mobilisés dans ces zones peuvent être supérieurs à 100 000 m3. Les avalanches atteignent ensuite deux couloirs bien marqués. Ces deux couloirs se réunissent plus bas en une combe plus large jusqu’à la rivière « La Sionne » située à 1500 m.s.m. Les masses de neige rencontrent, à une altitude de 1650 m, des obstacles fortement instrumentés construits par le SLF: un banc de mesure, un mât et un ouvrage en béton sur lesquels différents capteurs sont installés pour mesurer les vitesses, pressions et densités. Il est fréquent que les avalanches remontent sur le versant opposé et atteignent le bunker situé 50 m au-dessus du lit de la rivière et dans lequel se trouvent des observateurs/ scientifiques. Ceux-ci vivent alors une expérience inoubliable se situant entre le tremblement de terre du siècle et le naufrage du Titanic… mais en toute sécurité derrière des murs de béton armé de 40 cm d’épaisseur.
Avalanches spontanées
Des avalanches spontanées peuvent se produire à partir des trois zones de déclenchement. Afin d’activer automatiquement les instruments de mesure situés dans le couloir d’avalanche et au bunker, des capteurs sismiques sensibles aux vibrations du sol sont installés dans la partie supérieure de la zone avalancheuse. Ceci permet d’avoir également des données alors que personne ne se trouve dans le bunker. Ces données sont transmises automatiquement au SLF à Davos et sont ensuite interprétées directement par les scientifiques. De cette manière, il est possible d’avoir des données très intéressantes sur des avalanches humides et de petites avalanches de poudreuse, qui se déclenchent le plus souvent sans signe extérieur.
Déclenchements artificiels
Lorsque de fortes chutes de neige sont annoncées, le SLF entreprend une campagne de mesure à grande échelle dans la Vallée de la Sionne en déclenchant artificiellement une ou plusieurs avalanches. Des experts de Davos et de Sion analysent les prévisions nivo météorologiques. Un groupe de scientifiques et d’ingénieurs du SLF sont mis en standby en principe trois jours avant le déclenchement. Une pré-alarme est lancée par un expert local (à Sion) dans toute l’Europe afin que les scientifiques des pays intéressés puissent se préparer pour venir participer aux essais. L’expert local étudie en permanence l’évolution de la situation. Les régions proches de la zone d’essai sont sécurisées par des minages préventifs afin de décharger les pentes pouvant poser certains problèmes. Si les conditions nivo météorologiques sont bonnes (env. 80 cm de neige fraîche dans la zone de rupture), des spécialistes externes sont engagés pour le déclenchement artificiel et pour les mesures aériennes de terrain par laser et par photogrammétrie. Il est nécessaire d’avoir au moins un jour de beau temps après les chutes de neige afin de pouvoir réaliser les différentes mesures souhaitées.
L’équipe de Davos, en collaboration avec les scientifiques étrangers d’Autriche, de France, d’Angleterre, d’Italie et d’Espagne, se retrouve la veille au soir de l’événement à Anzère et reçoit, de l’expert du SLF local, les dernières informations sur la situation actuelle. Les conditions indispensables de sécurité et les déclenchements prévus sont discutés, évalués, planifiés. Après une nuit en général assez courte, l’équipe se rend, aux premières heures, sur les différents sites d’observation et de mesures afin de préparer et sécuriser l’essai. Alors que les scientifiques de terrain préparent les diverses caméras, un relevé de la répartition de la hauteur du manteau neigeux se fait par Laser depuis un hélicoptère. Cette information est absolument indispensable afin de déterminer le bilan de masse des avalanches: il est nécessaire de savoir quelle masse de neige s’est mise en mouvement dans la zone de déclenchement et quelle partie du manteau neigeux a été érodée dans la zone d’écoulement. En même temps, à l’intérieur du bunker, d’autres scientifiques du SLF contrôlent le bon fonctionnement du système d’acquisition de données. Grâce à ce système, les mesures de plus de 250 capteurs ayant une fréquence d’acquisition de 20 kHz sont stockées durant 4 minutes par avalanche. Cela engendre une quantité de données sur les ordinateurs du SLF de l’ordre de 50 gigabyte.
Début de l’essai: le déclenchement
Pour avoir le maximum de chance de réussir un déclenchement, il faut absolument que celui-ci se fasse le plus vite possible après l’apparition du soleil sur la pente étudiée (exposition Est). C’est pourquoi, dès que les scientifiques sont prêts, aussi bien sur les sites d’observation que dans le bunker, le "go!" est donné et une charge de 15 kg est déposée depuis un hélicoptère sur une des trois zones de déclenchement. L’onde de choc de l’explosion met en mouvement la plaque de neige qui, très rapidement, se fissure et se rompt en de nombreux blocs en raison des efforts énormes de cisaillement et des collisions internes. Ces collisions entraînent une dissipation d’énergie dans l’avalanche et donc influencent la vitesse maximale que celle-ci peut atteindre.
Accélération et vitesse finale
Les zones de déclenchement de Pra Roua et de Crêta Besse 2 ont une pente moyenne de 35 degrés alors que la pente de Crêta Besse 1 est de 45 degrés. Avec ces inclinaisons, les fragments de neige accélèrent très vite et atteignent rapidement des couloirs encore plus raides qui augmenteront leur vitesse. Le front de l’avalanche peut ainsi atteindre des vitesses de l’ordre de 50-70 m/s, soit 180-250 km/h. De petites particules de neige ou de glace sont expulsées de la masse coulante et forment l’aérosol (partie poudreuse de l’avalanche). Cet aérosol atteint très rapidement des hauteurs de 20 m puis se développe jusqu’à 50-100 m au-dessus du sol. Sa forme s’apparente à celle d’un chou-fleur et peut faire penser à une explosion. Etonnamment, l’avalanche ne fait presque aucun bruit, si ce n’est un petit chuintement sourd s’apparentant à une cavalcade très lointaine d’un troupeau d’éléphants. Seul le cliquetis des caméras des scientifiques et autres journalistes se fait vraiment entendre…
Pression d’impact
La pression d’impact maximale mesurée dans la VdlS est d’environ 1000 kPa, c’est-à-dire 100t/m2, soit approximativement le poids de 50 éléphants entassés sur un mètre carré. Ces pressions ont été mesurées durant l’hiver extrême de 1999, hiver durant lequel trois énormes avalanches ont été déclenchées en janvier et février. Le volume de départ de ces avalanches était d’environ 50'000 m3 chacune, puis augmenta jusqu’à atteindre un volume supérieur à 200 000 m3. Elles détruisirent la majeure partie des obstacles de mesure, y compris le mât, atteignirent le bunker et le recouvrirent de plusieurs mètres de neige. La configuration du lieu changeât fortement puisque le vallon d’une hauteur de 50 m, situé entre le bunker et les obstacles, fut presque totalement comblé par le dépôt des avalanches. Durant les années 2001 et 2002, le mât fut reconstruit plus beau et plus fort qu’avant afin de résister à une pression de 800 kPa. Jusqu’à maintenant, il a fièrement survécu aux nouvelles avalanches.
Mesures complémentaires
Le responsable des essais soutenu par des guides de montagne essaie, dans la mesure du possible, de déclencher le maximum d’avalanches. A plusieurs reprises, les zones de départ de Crêta Besse 1 et Crêta Besse 2 ont pu être déclenchées le même jour. Avant que les scientifiques aient l’autorisation d’investir la zone de dépôt pour effectuer des mesures complémentaires, il est souvent nécessaire de sécuriser le parcours de l’avalanche par d’autres minages qui libèreront les zones de départ des pans de neige résiduels. C’est encore une fois par laserscanning depuis l’hélicoptère ou par mesures photogrammétriques que la nouvelle répartition de la hauteur du manteau neigeux se détermine aussi bien dans les zones de déclenchement que dans la zone de dépôt.
Si les conditions de sécurité sont remplies, les particularités de la cassure de l’avalanche sont déterminées par la dépose par hélicoptère de scientifiques dans la zone de rupture alors que d'autres scientifiques analysent les caractéristiques de l’avalanche dans la zone de dépôt.
Les obstacles
A 1650 m d’altitude, trois ouvrages ont été construits afin d’y installer les capteurs de mesures:
- Le banc de mesure est l’obstacle le plus ancien de la VdlS. Il fut construit en 1997. Sa structure métallique triangulaire de 5 m de haut est instrumentée de capteurs de compression mesurant les forces normales et tangentielles.
- Le mât de 19 m de hauteur fut également construit en 1997. Partiellement détruit en 1999, il fut reconstruit plus résistant qu’avant. Dans sa partie inférieure, des capteurs de vitesse sont répartis verticalement tous les 10 cm. Ils sont complétés par des capteurs de pression, de température, de densité et de hauteur du flux d’avalanche dense.
- En 2004, un groupe de chercheurs autrichiens, également très intéressés par le site, installèrent une grande plaque de mesure de force sur un ouvrage en béton.
Les obstacles et les capteurs sont entretenus par le personnel technique du SLF durant les pauses estivales. Les capteurs doivent être à nouveau calibrés et les pièces défectueuses remplacées. Le système d’acquisition de données doit régulièrement être réactualisé. A partir de la fin octobre, le site doit être opérationnel et tout le monde scientifique attend avec impatience les premières neiges.
Le bunker
Le bunker est construit en béton armé sur deux étages. L’étage supérieur recueille les radars Doppler et les caméras vidéo pour la mesure de la vitesse du front. Les radars sont placés devant des fenêtres et visent la totalité du parcours de l’avalanche. Chaque fenêtre est munie de clapets qui sont fermés juste avant l’arrivée de l’avalanche par l’équipe du SLF. Ceux-ci se trouvent à l’étage inférieur du bunker, en sécurité, et supervisent l’acquisition de données. Ils viennent, si possible, avant les fortes chutes de neige annoncées par les météorologues car, dès le début de celles-ci, l’accès au bunker est beaucoup plus difficile.
Méthodes de mesure expérimentales
Radars Doppler
La vitesse globale de l’avalanche coulante et poudreuse est mesurée à l’aide de radars Doppler, du départ de l’avalanche jusqu’à son dépôt. Deux radars (radarhost7 and radarhost11) situés à l’étage supérieur du bunker et appartenant à nos partenaires autrichiens sont également opérationnels. Ils diffèrent par leur résolution spatiale maximale (50 et 25m) et également par leur fréquence de mesure (5.800 et 5.835GHz).
GEODAR
La dynamique du front d'avalanche et les surtensions internes sont suivies à l'aide d'un radar à modulation de fréquence d'onde continue progressive (Le GEODAR). Ce radar peut représenter les parties les plus denses et les structures dans le flux pénétrant le nuage de poudreuse avec une résolution de 0.75m à 111Hz.
Photogrammétrie
La vitesse du front de l’avalanche peut aussi être calculée à l’aide de la photogrammétrie. Cette méthode est aussi utilisée pour étudier le développement de la partie poudreuse de l’avalanche (aérosol) et ses volumes.
Capteurs optiques
En plus de la vitesse à la surface de l’avalanche, il est aussi important de connaître les répartitions de vitesse à l’intérieur de celle-ci. Cela permet de connaître son mode d’écoulement. Avec de tels profils de vitesse, on a une vue sur les processus qui déterminent la dynamique des avalanches. C’est la raison pour laquelle des capteurs optiques ont été installés sur le mât. Ils peuvent mesurer le profil de la vitesse d’écoulement dans l’avalanche.
Capteurs de mesure de force et de pression d’air
Les forces d’impact sont mesurées par des capteurs de différentes dimensions (0.1m à 1.0m) installés sur le mât, le banc de mesure et l’ouvrage en béton. Au sommet du mât, des capteurs de pression d’air (Pitot), spécialement développés pour cet usage, mesurent ce paramètre au-dessus et dans le nuage de poudreuse (aérosol).
Capteurs de température
Des capteurs de température infrarouges sont installés sur le pylône et mesurent la variation rapide de température à l'intérieur de l'avalanche en mouvement.
Capteurs de capacité
Des capteurs de capacité mesurant la densité et des capteurs mesurant la hauteur d’écoulement de l’avalanche complètent l’instrumentation du mât.
Mesures par laserscanning
La connaissance du bilan de masse d’une avalanche est un facteur déterminant pour la compréhension de la dynamique des avalanches. Afin de pouvoir calculer ce bilan de masse, il est indispensable de connaître la hauteur du manteau neigeux sur toute la surface de l’avalanche avant et après le déclenchement. Pour des raisons évidentes de sécurité, il est cependant impossible d’aller mesurer manuellement la hauteur de neige dans la zone avalancheuse. La télédétection est donc le système utilisé : dans les premières années des essais, il s’agissait de photogrammétrie mais depuis 2006, cette méthode a été remplacée par le 'laserscanning'. Des mesures de terrain, où cela est possible, sont cependant toujours nécessaires.
Radar FMCW (Frequency Modulated Continuous Wave)
Afin d’affiner les mesures de bilan de masse, trois paires de radar FMCW (signal à modulation de fréquence linéaire) sont 'enterrées' dans le parcours de l’avalanche à l’altitude de 2300 et 1900 m.s.m. ainsi qu’à la hauteur des obstacles. Les radars FMCW mesurent l’érosion du manteau neigeux lors du passage de l’avalanche ainsi que la hauteur de sa partie coulante.
Mesures infrarouges
Lors des déclenchements artificiels, les avalanches sont filmées à l'aide d'une caméra infrarouge afin d'établir les températures de neige à la surface de l’avalanche avant, pendant et après le déclenchement.